« Kerkennah, le dernier paradis ? »
se demande l’écrivain Armand Guibert au cours de son périple dans cet archipel tunisien. Peut-être pas le dernier, mais certainement un paradis.
« Au bout d’une heure de traversée en car-ferry, sur une mer de jade souvent très calme, une ligne fine et horizontale s’offre lentement au regard, tel un immense radeau de palmiers à fleur de l’eau. »— Marguerite Yourcenar, Archipel de la Mémoire.
Autour quelques voiles blanches de felouques, s’érigent sur la mer, dansant avec grâce aux caresses du vent. Kerkennah apparaît et une sensation de sérénité vous envahit.
Les Berbères, également connus sous le nom de peuples amazighs, se sont établis dans ce qu’est l’actuelle Tunisie.
Leur présence a profondément façonné la culture et l’histoire nord-africaine, avec des influences durables sur les langues, les traditions et les structures sociales de la région.
Le général carthaginois Hannibal se réfugie sur l’archipel de Kerkennah pendant son exil après la défaite de Carthage.
Il y trouve refuge avant de se diriger vers Damas, où il poursuivra son exil.
Révolte de Tacfarinas, un ancien soldat numide qui a mené une
insurrection contre l’Empire romain en Afrique du Nord.
Cette révolte a provoqué d’importants troubles dans la province d’Afrique proconsulaire, nécessitant une intervention militaire romaine pour être réprimée.
L’arrivée des Arabes et des Coptes en Tunisie. Ceci a marqué un tournant historique.
Les Arabes, menés par Oqba Ibn Nafi, ont introduit l’islam et la culture arabe, tandis que les Coptes, chrétiens d’Égypte, ont contribué par des échanges commerciaux et culturels.
Sous les Zirides, l’invasion des Normands de Sicile a eu un impact significatif sur la Tunisie.
Les Normands, dirigés par Roger II de Sicile, ont lancé une série de raids contre les côtes tunisiennes, profitant de la faiblesse politique et militaire de la région à l’époque.
Kerkennah est cette fois-ci convoitée par les Espagnols, les Turcs et des corsaires, tout comme Djerba.
Sous le règne des Ottomans et des Husseinites, beaucoup de Kerkeniens servent dans la flotte du bey (trois Amiraux viennent de l’île)
La Tunisie est devenue un protectorat français après la signature du Traité du Bardo (ou Traité de Ksar Said). Ce traité a marqué le début de l’influence coloniale française sur la Tunisie.
La pêche constitue l’activité principale des îles Kerkennah, chez la grande majorité des kerkenniens c’est une seconde nature, même pour ceux dont le métier est tout autre.
Le plateau sous-marin entourant les îles est constitué, sur près de 65 kilomètres, de très hauts fonds ponctués d’oueds, chenaux et dépressions de profondeur assez importantes.
La mer est comme un vaste jardin de hauts-fonds entourant les îles que les pêcheurs de Kerkennah ont su dompter en explorant ses recoins les plus intimes, et en y adaptant leurs propres techniques de pêche.
Ils se sont appropriés ces hauts-fonds, et en ont même privatisé des parcelles pour y installer des pêcheries fixes dénommée “charfias”, qui veut dire pêche noble et honnête.
Jouant avec les reflux de la marée, la “charfia” est un piège à poissons fait de nasses en alfa et de branches de palmier.
Les branches sont plantées à la main, centimètres par centimètres.
Ces “charfias”, véritables labyrinthes pour les poissons, longent les côtes de l’archipel, dessinant lignes et zigzags à la surface de l’eau.
Cette technique de pêche a été récemment inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de à l’UNESCO. Spécificité unique au monde, les kerkenniens peuvent posséder des titres de propriété sur des parcelles de mer, où ils y installent leurs “charfia”, pièges à poissons et “karours“ (pièges à poulpes).
La “dammassa”, ou “pêche à la sautade”, est une technique de pêche au mulet sauteur où les pêcheurs battent l’eau avec leurs rames ou de grands bâtons. Pour s’enfuir, les poissons sautent hors de l’eau et atterrissent dans les mailles d’un filet posé horizontalement.
La pêche à l’épervier est une méthode utilisant un filet lesté de plomb appelé “tarraha”. Il est lancé à la main directement sur les bancs de poisson, depuis la côte, les pieds dans l’eau, ou depuis une barque éloignée du rivage.
L’ancien secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, avait un projet de constitution pour protéger les océans et les mers à travers le globe, notamment de la pollution et de la pêche intensive. Pour illustrer son projet, il avait choisi comme exemple les îles Kerkennah avec ce documentaire intitulé « Sauver la mer, sauver une culture ».
Ce dernier raconte les techniques et la culture des pêcheurs kerkenniens, autrefois respectueuse de la mer et de ses ressources.
Pêcheurs le jour, mais dès la tombée de la nuit, certains deviennent musiciens, chanteurs, danseurs, poètes… Les troupes de “tbal” (tambour en arabe), constituent la formation de musiciens traditionnelle des îles Kerkennah, avec habituellement deux joueurs de “tbal“, et deux joueurs de “zokra”, un instrument à vent en bois très répandu dans le monde arabo-musulman. Pour célébrer les grandes occasions comme les mariages ou les circoncisions, c’est à la troupe de “tbal” que l’on confie l’importante tâche d’animer les soirées.
Une fois les invités installés, la troupe se lance et danse en faisant tournoyer leurs longues jupes plissées blanches, avançant en ligne vers l’audience. On voit certains convives sortir un billet pour les mariés, mais aussi pour demander telle ou telle chanson. Alors, le poète de la troupe, billet à la main, improvise à la gloire de celui qui a offert le billet, en citant sa famille et ses aïeux, parfois avec une note d’humour. Ainsi, chacun participe à la cagnotte des mariés pour une éventuelle construction de maison, de bateau, ou encore de puits.
La solidarité et l’entraide ont un ancrage profond dans la vie sociale et économique des kerkenniens, elles y perdurent encore aujourd’hui.
En plus des 3 jours et 3 nuits de fête, tout mariage traditionnel kerkennien ne peut se faire sans la cérémonie de la “Koffa” (couffin en arabe). Les felouques, barques et bateaux se parent de foulards, et emmènent futurs mariés et convives pour une baignade au large.
Celui qui le souhaite se jette à l’eau, puis vient le tour du couple, que chacun saluera avant de remonter sur les embarcations, et rejoindre le rivage, en musique.
Célébration de la mer, de la vie, de l’union sacrée, la cérémonie revêt aussi un aspect de rite de passage. Lors du retour de la “Koffa”, la terre ferme encore loin, le futur marié est jeté à l’eau, et doit terminer le trajet retour à la nage.
Les kerkenniens ont longtemps été, dans leur quasi-totalité, des marins pêcheurs. Il fallait donc s’assurer de la capacité à bien nager du marié afin de minimiser les risques pour sa future épouse et la famille qu’ils allaient fonder ensemble.